On a tous déjà entendu ces pitchs qui commencent par une comparaison flatteuse. « Nous sommes le Amazon du terroir », « Imaginez le Tinder de l’emploi »… Une formule censée aider l’auditoire à saisir l’idée en quelques secondes. En réalité, c’est l’un des réflexes les plus dangereux pour une startup qui veut s’imposer durablement.
Cette logique du « X de Y » est une béquille. Elle rassure, elle donne l’illusion de la clarté, mais elle enferme. En définissant son projet par rapport à un modèle étranger, le fondateur réduit sa capacité à créer quelque chose d’original. Il adopte un cadre mental qui n’est pas le sien, inspiré d’un autre marché, d’autres usages, d’autres contraintes. Le jour où la comparaison devient la colonne vertébrale du positionnement, l’innovation ralentit déjà.
Le vrai piège n’est pas seulement stratégique. Il est culturel. Copier un modèle externe sans traduire les spécificités locales revient à ignorer les facteurs qui déterminent réellement la réussite : comportements des utilisateurs, maturité technologique, infrastructures disponibles, dynamique du pouvoir d’achat, temporalité des usages. Ce qui fonctionne ailleurs ne se transpose pas mécaniquement, et les échecs répétitifs le rappellent sans cesse. Les conditions de départ façonnent la trajectoire, et s’obstiner à calquer des modèles conçus pour un autre environnement aboutit trop souvent à la dépendance plutôt qu’à la croissance.
Les entrepreneurs qui parviennent à franchir des paliers significatifs sont ceux qui s’affranchissent de cette logique. Ils ne cherchent pas à se ranger dans une catégorie existante. Ils créent leur propre case. Ils articulent leur proposition de valeur autour d’un problème réel, contemporain, local, et non autour d’une analogie rassurante. Ils n’attendent pas d’avoir une comparaison à présenter pour convaincre ; ils construisent un récit qui se suffit à lui-même.
Ce changement d’état d’esprit devient indispensable au moment où l’intelligence artificielle redéfinit les standards de vitesse, de précision et d’automatisation. Continuer à bâtir des plateformes conçues pour l’Internet 2010, dépourvues de moteurs d’IA capables d’apprendre, d’anticiper ou d’enrichir l’expérience, revient à présenter une innovation déjà périmée. Le marché avance plus vite que les cycles d’imitation. Le temps que vous copiiez un modèle éprouvé ailleurs, il appartient déjà à une autre époque.
L’attentisme est aujourd’hui l’une des principales menaces qui pèsent sur les startups locales. Trop de fondateurs attendent la validation d’un modèle étranger avant d’oser. Trop de projets se contentent de reproduire des infrastructures pensées pour d’autres frontières technologiques. Pourtant, c’est précisément dans les zones encore non cartographiées que réside l’avantage compétitif le plus accessible. Les projets capables de résoudre des problématiques locales complexes grâce à des approches réellement nouvelles prennent immédiatement une longueur d’avance.
L’enseignement essentiel est simple : la vision doit précéder la comparaison, jamais l’inverse. Construire un produit, un modèle ou une technologie qui n’a pas d’équivalent direct exige de l’audace, mais c’est exactement ce qui permet de créer une catégorie plutôt que de rejoindre la file d’attente de celles déjà saturées.
Pour les entrepreneurs, la question à se poser n’est plus : « À quel modèle ressemblons-nous ? ». La vraie question est : « Quelle réalité transformons-nous et pourquoi sommes-nous les seuls positionnés pour le faire ? ».
La confiance ne vient pas de la ressemblance avec un géant étranger, mais de la compréhension intime d’une douleur locale et du courage de proposer une réponse qui n’existe pas encore. Ceux qui marqueront durablement l’écosystème ne seront pas ceux qui reprennent les codes d’ailleurs, mais ceux qui créent une trajectoire que personne n’avait anticipée.
La prochaine fois qu’un investisseur, un partenaire ou un mentor demandera « Vous êtes le Uber de quoi ? », la meilleure réponse reste la plus simple : « De personne. Nous sommes la première version de ce que nous construisons. »