La multiplication des frameworks SWOT, BCG Matrix, Porter, Balanced Scorecard, Design Thinking, etc. a produit une inflation d’outils au sein des entreprises, sans toujours générer de meilleures décisions. Planellas et Muni partent d’un constat lucide : les dirigeants disposent de trop de modèles, mais de trop peu de logique pour les articuler.
Leur livre ne se contente pas de compiler des schémas ; il les replace dans une architecture conceptuelle cohérente, où chaque outil répond à un moment précis du processus stratégique : diagnostic, formulation, décision, mise en œuvre, ou évaluation. Ce fil conducteur redonne au management sa fonction première penser avant d’agir dans un contexte saturé d’urgence opérationnelle.
Des modèles pour comprendre, pas pour copier
Les auteurs rappellent que les modèles stratégiques ne sont pas des vérités universelles, mais des représentations simplifiées du réel. Le danger, dans la pratique managériale contemporaine, est de les traiter comme des “checklists” sans en comprendre les fondements.
Ainsi, la célèbre matrice BCG (Boston Consulting Group) qui classe les activités selon leur part de marché et la croissance du secteur peut être utile pour visualiser un portefeuille d’activités, mais devient trompeuse si elle conduit à négliger l’innovation ou la différenciation. De même, le modèle de Porter éclaire la structure concurrentielle d’un marché, mais ignore souvent les dynamiques émergentes propres à l’économie numérique ou aux écosystèmes africains.
Planellas et Muni insistent : un modèle ne vaut que par le jugement de celui qui l’utilise. Le vrai enjeu n’est pas d’appliquer, mais d’interpréter.
Trente modèles, une seule logique : la prise de décision stratégique
L’un des apports majeurs du livre est de structurer ces trente modèles autour d’un cycle décisionnel complet. Les auteurs distinguent quatre étapes :
Analyser : comprendre l’environnement interne et externe (PESTEL, SWOT, Value Chain, etc.) ;
Décider : choisir les orientations stratégiques (Porter, Ansoff, Blue Ocean) ;
Mettre en œuvre : transformer la stratégie en plans d’action (Balanced Scorecard, OKR, Business Model Canvas) ;
Apprendre : évaluer et ajuster (Feedback Loops, Learning Organization).
Cette structuration, inspirée du design pédagogique, permet de naviguer entre les outils sans perdre le sens global. Pour un dirigeant ou un fondateur de start-up, cela revient à disposer d’une boîte à outils hiérarchisée, et non d’un puzzle désordonné.
Applications concrètes pour les start-up marocaines et africaines
Dans les écosystèmes émergents, la stratégie est souvent perçue comme un luxe réservé aux grandes entreprises. Pourtant, c’est précisément dans les environnements instables que ces modèles prennent tout leur sens.
Une start-up marocaine opérant dans la mobilité urbaine, par exemple, peut combiner le Business Model Canvas pour clarifier sa proposition de valeur, le PESTEL pour évaluer l’impact des réglementations locales et de la fiscalité, et le Blue Ocean Framework pour identifier des niches peu exploitées (mobilité électrique, livraison verte, intermodalité).
Les incubateurs comme LaStartupFactory ou Impact Lab utilisent déjà certains de ces outils, mais souvent de manière isolée. Le livre de Planellas et Muni invite à une approche intégrée, où les modèles s’enchaînent logiquement, offrant une cohérence décisionnelle plutôt qu’un assemblage d’outils à la mode.
Cette discipline de la réflexion stratégique est essentielle dans le contexte marocain, où la pérennité des jeunes entreprises dépend souvent de leur capacité à ajuster rapidement leurs hypothèses de marché tout en gardant une vision claire.
L’enseignement pour les dirigeants : penser avant d’imiter
En filigrane, Strategic Decisions dénonce une dérive du management contemporain : la fascination pour les modèles au détriment du raisonnement. Trop d’organisations adoptent la dernière méthode en vogue Lean Startup, OKR, Agile sans se demander si elle correspond à leur stade de développement ou à leur culture interne.
Les auteurs appellent à réhabiliter la pensée critique en stratégie : comprendre pourquoi un modèle fonctionne, dans quel contexte il est né, et comment il doit être adapté. Pour les entrepreneurs africains, cette posture intellectuelle est un avantage compétitif. Elle permet d’assimiler les meilleures pratiques internationales tout en les ajustant à la réalité locale un principe que le HCP, la CGEM et plusieurs accélérateurs marocains tentent désormais d’institutionnaliser.
Un manuel de rigueur dans un monde de vitesse
Strategic Decisions n’est pas un simple guide de management ; c’est un plaidoyer pour la rigueur intellectuelle au service de l’action. À l’heure où la rapidité d’exécution est glorifiée, Planellas et Muni rappellent que la vitesse n’a de valeur que si elle repose sur la clarté du raisonnement.
Pour les dirigeants marocains et africains, c’est une invitation à ralentir pour mieux décider à faire de la stratégie un processus vivant, nourri par la réflexion, le débat et l’apprentissage collectif.