Dans l’imaginaire collectif, le pitch deck reste associé à la levée de fonds. Pourtant, cet usage n’en représente qu’une fraction. Dans les faits, un bon deck est un outil transversal de la stratégie entrepreneuriale. Il peut aussi bien ouvrir une porte chez un investisseur que clarifier une vision en interne, structurer un recrutement ou aligner une équipe autour d’un cap commun.
Les entrepreneurs marocains tendent à le réduire à un exercice esthétique destiné aux jurys de concours. C’est une erreur stratégique. Le pitch deck, bien conçu, sert avant tout à ordonner la pensée et à articuler une trajectoire claire.
1. Le pitch deck comme clé d’entrée vers les investisseurs
La fonction première du deck reste celle-ci : convaincre un investisseur d’accorder du temps à votre projet. Mais cela ne signifie pas lever des fonds à tout prix. Au Maroc, où la majorité des tours de table se situent encore entre 500 000 et 5 millions de dirhams, le premier objectif est souvent d’obtenir un second rendez-vous plutôt qu’un chèque immédiat.
Un bon pitch deck donne à l’investisseur trois signaux essentiels :
•La clarté du problème et de la solution.
•La capacité d’exécution de l’équipe.
•Le réalisme financier du modèle.
Les fonds marocains tels qu’Azur Innovation Fund, UM6P Ventures ou Marita Capital insistent sur ce triptyque avant tout engagement. Un deck efficace permet donc de franchir le premier filtre, souvent impitoyable.
Mais son utilité dépasse la première rencontre. Dans les levées de série A, il sert aussi de support de suivi : il permet d’actualiser les indicateurs de traction, de croissance et de financement. Certains investisseurs demandent une version mise à jour tous les trimestres. Cette discipline profite au fondateur lui-même, qui garde ainsi une vision synthétique de ses progrès.
Enfin, le deck joue un rôle pédagogique. Face à des investisseurs étrangers (fonds européens ou du Golfe), il contextualise la réalité marocaine : taille du marché, contraintes réglementaires, maturité numérique. C’est un moyen de traduire le Maroc entrepreneurial dans un langage universel.
2. Un levier de crédibilité auprès des partenaires et institutions
Le pitch deck n’est pas seulement un outil de séduction financière ; c’est un document de légitimité. Les jeunes pousses marocaines doivent souvent composer avec des acteurs publics, semi-publics ou institutionnels : Tamwilcom, ANAPEC, CRI, Technopark, StartGate, etc.
Dans ces échanges, un deck structuré et cohérent devient une arme redoutable : il prouve que le projet est réfléchi, mesuré et réaliste.
Par exemple, dans le cadre d’un appel à subvention régionale ou d’un programme d’accélération, le pitch deck permet de présenter en dix slides un projet que le jury n’aura pas le temps de lire dans un business plan de cinquante pages. Il synthétise les informations clés : problème, solution, modèle, équipe, impact.
De plus, le deck peut devenir un outil de négociation. Lors d’un partenariat commercial, il sert à crédibiliser la startup auprès d’un grand compte marocain. Beaucoup d’entrepreneurs sous-estiment cette dimension. Dans des secteurs comme la fintech, la logistique ou la greentech, présenter un deck bien construit peut rassurer une entreprise partenaire sur la solidité du projet, surtout quand celui-ci n’a pas encore d’historique financier solide.
Les structures comme HSEVEN, Impact Lab ou LaStartupFactory utilisent d’ailleurs le pitch deck comme support d’intermédiation : il permet d’introduire une startup à un partenaire industriel ou à un investisseur sans nécessiter de long dossier préalable. En somme, c’est la carte de visite stratégique de l’entreprise.
3. Un outil de management et de recrutement interne
Le pitch deck ne sert pas qu’à convaincre les autres : il aide aussi à aligner l’équipe. Dans les start-up marocaines en croissance rapide, les collaborateurs rejoignent souvent un projet déjà lancé. Le deck devient alors un document de référence pour comprendre la vision, le modèle et les priorités.
Les fondateurs expérimentés l’utilisent comme outil de management : il sert de support lors des onboardings, des réunions stratégiques ou des présentations internes. En quelques slides, il rappelle les fondements du projet : le problème initial, la mission, les cibles, les objectifs trimestriels.
Ce rôle est crucial dans un pays où la rétention des talents reste un défi. Selon la CGEM, plus de 45 % des jeunes diplômés marocains changent d’emploi avant deux ans. Offrir un cadre clair, une mission lisible et une trajectoire cohérente est un facteur de fidélisation.
Le pitch deck peut aussi jouer un rôle décisif dans le recrutement de profils seniors. Un manager ou un CTO expérimenté ne rejoint pas une start-up sur la base d’un simple discours : il veut comprendre la vision, la viabilité et la feuille de route. Un deck clair, appuyé par des chiffres, devient un outil de persuasion interne aussi puissant qu’un argument financier.
Enfin, dans les phases de scaling, le deck évolue en outil de communication externe : support de presse, présentation aux concours internationaux, ou outil de formation pour les nouveaux ambassadeurs du projet. Cette continuité renforce la cohérence du discours de marque et la crédibilité de la startup sur le long terme.
Un pitch deck n’est pas qu’un support de levée de fonds : c’est un outil de gouvernance, de communication et de persuasion. Utilisé dans le bon contexte, il structure la pensée du fondateur autant qu’il convainc les investisseurs. Dans un écosystème marocain encore jeune, où la crédibilité se gagne slide après slide, les entrepreneurs qui maîtrisent cet outil ne vendent pas seulement un projet : ils racontent une stratégie.