La crédibilité est la monnaie la plus volatile de l’écosystème entrepreneurial. Trop souvent, les jeunes pousses abordent les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) sous l’angle exclusif de la communication institutionnelle, voire du marketing, sans disposer de la substance nécessaire pour étayer leurs affirmations. Cette approche superficielle expose l’entreprise à deux risques majeurs : le greenwashing, qui détruit la réputation, et l’incapacité à répondre aux due diligences de plus en plus exigeantes des fonds d’investissement internationaux et des institutions de développement.
Le diagnostic technique comme socle de toute prise de parole
Toute stratégie de communication efficace commence par un audit sans concession de l’existant. Il est impossible de communiquer crédiblement sur une trajectoire si le point de départ n’est pas clairement défini. Le diagnostic ESG ne doit pas être perçu comme une contrainte administrative, mais comme un outil puissant pour obtenir une vision claire de la performance réelle de l’entreprise. Avant de publier le moindre post LinkedIn ou d’intégrer une slide “Impact” dans une présentation investisseur, l’entrepreneur doit identifier ses lacunes et ses opportunités d’amélioration avec une précision chirurgicale. Cela implique de mesurer concrètement comment l’entreprise gère son empreinte écologique , traite ses collaborateurs et ses communautés , et comment elle est dirigée et contrôlée.
Dans le contexte marocain, où l’accès à la donnée fiable reste un défi structurel, la capacité d’une start-up à produire ses propres indicateurs devient un avantage concurrentiel majeur. Il ne s’agit pas d’annoncer des objectifs flous de neutralité carbone, mais de quantifier, par exemple, la consommation énergétique de ses serveurs, le taux de turnover de ses équipes techniques ou la diversité de son comité de direction. Ce diagnostic initial permet de se comparer aux standards du secteur, une étape indispensable pour éviter l’auto-congratulation. Si votre start-up logistique affiche une réduction de 10 % de ses émissions alors que le standard international du secteur exige 25 % pour être compétitif, votre communication doit refléter cette réalité avec humilité et proposer un plan d’action correctif. C’est cette transparence, appuyée par des données issues du diagnostic, qui construit la confiance. L’investisseur ou le partenaire industriel ne cherche pas la perfection immédiate, mais la preuve que le dirigeant a une maîtrise lucide de ses opérations et de ses impacts.
La gestion des risques comme narratif de réassurance
Une fois les données collectées, l’erreur classique consiste à noyer les parties prenantes sous un déluge de chiffres positifs. Une communication structurée et mature doit au contraire s’articuler autour de la notion de risque. Pour un investisseur, l’ESG est avant tout une grille de lecture permettant d’évaluer la solidité future de l’actif. Intégrer l’ESG dans sa communication revient à démontrer sa capacité à réduire les risques liés au climat, à la réputation et à la réglementation. Au Maroc, le cadre réglementaire évolue rapidement : la charte RSE de la CGEM, les directives de l’AMMC pour les entreprises faisant appel public à l’épargne, ou encore les exigences croissantes de Bank Al-Maghrib en matière de finance verte tracent une voie que les start-up doivent anticiper.
Communiquer sur sa gouvernance, c’est expliquer comment l’entreprise se protège contre les aléas. Par exemple, détailler la mise en place d’un comité d’éthique ou de processus d’audit interne n’est pas de la bureaucratie, mais la preuve que l’entreprise favorise une résilience à long terme. De même, aborder frontalement les risques climatiques qui pèsent sur la supply chain (sécheresse impactant l’agritech, coût de l’énergie pour l’industrie) et présenter les mesures d’atténuation mises en place renforce considérablement la crédibilité du dossier d’investissement. Cette approche permet de renforcer la confiance avec les parties prenantes et les investisseurs en déplaçant la discussion du terrain idéologique vers le terrain pragmatique de la pérennité du business model. Le narratif ne doit plus être “nous sauvons le monde”, mais “nous avons identifié les menaces qui pèsent sur notre activité et nous avons mis en place les garde-fous nécessaires pour garantir une création de valeur durable”. C’est ce langage de la maîtrise des risques que parlent les banquiers et les fonds de capital-risque.
L’alignement sur les standards internationaux pour changer d’échelle
Le dernier pilier d’une communication ESG structurée réside dans l’adoption d’un référentiel commun avec ses interlocuteurs cibles. Pour une start-up marocaine ambitionnant une expansion ou une levée de fonds en série A ou B, le marché domestique n’est souvent qu’une étape. Or, les capitaux étrangers, notamment européens, sont soumis à des obligations de reporting strictes (comme la directive CSRD ou le règlement SFDR en Europe). S’aligner dès le départ sur les objectifs mondiaux de durabilité et les normes de reporting est un accélérateur de discussion puissant.
Le diagnostic ESG permet justement de développer une feuille de route pour une croissance durable qui soit lisible à l’international. Lorsqu’une start-up marocaine présente ses performances extra-financières en utilisant des référentiels reconnus (comme les ODD de l’ONU, le GRI ou SASB), elle facilite le travail d’analyse de l’investisseur étranger. Elle démontre une maturité et une compréhension des enjeux globaux qui dépassent le simple cadre local. C’est cet alignement qui permet de communiquer les efforts ESG de manière crédible auprès des investisseurs et partenaires. Cela est particulièrement critique pour nouer des partenariats commerciaux avec des grands groupes multinationaux installés au Maroc, qui répercutent leurs propres exigences ESG sur leurs fournisseurs. Une communication structurée, capable de fournir les certifications et les indicateurs demandés sans délai, transforme le département conformité en centre de profit. En prouvant qu’elle respecte les standards internationaux, la start-up ne se contente pas de rassurer, elle devient une option privilégiée pour les grands donneurs d’ordres cherchant à “verdir” leur propre chaîne de valeur.
La communication ESG ne doit jamais être une fin en soi, mais la traduction visible d’une excellence opérationnelle invisible. Elle exige de passer d’une logique de promesse à une logique de preuve. Pour l’entrepreneur, l’enjeu immédiat est de lancer ce chantier de diagnostic pour disposer, dans six mois, des munitions nécessaires aux négociations futures. L’absence de données ESG structurées deviendra, à très court terme, un critère éliminatoire aussi tranchant qu’un EBITDA négatif sans croissance.
